Partir

Suzanne a la quarantaine. Femme de médecin et mère de famille, elle habite dans le sud de la France, mais l'oisiveté bourgeoise de cette vie lui pèse. Elle décide de reprendre son travail de kinésithérapeute qu'elle avait abandonné pour élever ses enfants et convainc son mari de l'aider à installer un cabinet. A l'occasion des travaux, elle fait la rencontre d'Ivan, un ouvrier en charge du chantier qui a toujours vécu de petits boulots et qui a fait de la prison. Leur attraction mutuelle est immédiate et violente et Suzanne décide de tout quitter pour vivre cette passion dévorante.

Six mois auparavant, une éternité, Suzanne menait une vie prévisible, feutrée, bourgeoise. Deux enfants presque adultes, et un mari très enfantin, un médecin macho, style « ma » femme, « mes » gamins, « ma » maison, « mon » métier, « ma » virilité... Pour des travaux dans la villa, un ouvrier était venu, un Espagnol au nom russe, Ivan. Suzanne l'avait involontairement blessé, conduit en Espagne voir sa fille, puis revu sans raison. Avant, précisément, que la déraison ne l'emporte. Elle lui avait cédé comme si elle se délivrait. Et tout rejeté d'un bloc : les conventions, l'hypocrisie, ses enfants. Et ce mari, d'abord sanglotant, puis ...

L’amour et ses déclinaisons fondent la filmographie de Catherine Corsini. Parfois traité avec humour (La Nouvelle Eve), ou avec romance (Les Ambitieux), l’amour, dans Partir, fait souffrir. La réalisatrice choisit l’épure pour raconter ce (mélo)drame, chroniqué comme un fait divers à coups de cadres larges et fixes, mais activés par le mistral et la tramontane du Languedoc-Roussillon. Le film se voudrait charnel, mais le bannissement volontaire de toute psychologie finit par éteindre tout sentiment et exclure le spectateur de cette histoire d’amour…

… qui finira mal. Un coup de feu retenti en introduction et le film débute en flash-back. Il relate de sa naissance à sa fin tragique, la passion amoureuse de Suzanne (Kristin Scott Thomas) et Ivan (Sergi Lopez), deux étrangers pour qui partir c’est rester ensemble. Comme dans Noces rouges de Claude Chabrol, l’abus de pouvoir et le chantage sont les atouts du mari cocu (Yvan Attal), dont les plans machiavéliques font obstacles au bonheur épicurien des amants.

On le sait, on le sent : Partir est un film sur l’émancipation et c’est aussi un film de femmes (Catherine Corsini s’est accompagnée d’Agnès Godard à la photographie). Ce féminisme est incarné à l’écran par le personnage de Suzanne, quadragénaire entière, déterminée, honnête, et joyeuse (comme l’illustre cette séquence où une guêpe rentre dans son chemisier). Où est la faille ? Nulle part. Suzanne est si complète… qu’elle en est lisse. Pourtant elle est l’élément moteur du film puisqu’elle est présente dans toutes les scènes. C’est son itinéraire qui construit Partir, dans le sens où la narration décrit le processus logique de son émancipation. Ni plus, ni moins : le rythme est lent puisque embarrassé de détails pas forcément essentiels. Ainsi, c’est l’action et la représentation des émotions (et non leur incarnation) qui importent, au détriment de la saveur intérieure des prises de conscience des personnages. Catherine Corsini ne craint pas les scènes faites d’un seul plan privé d’action, auquel le spectateur devra dégager sans mal son sens premier et unique. Exemple : Suzanne et Samuel sont dans le lit conjugal, elle lit, tandis que lui pianote sur son portable. Conclusion : on ne fait pas l’amour chez les Vidal. Alors qu’il cherchait l’ardeur de la passion, le film souffre d’une froideur d’exécution.

Toutefois, reconnaissons à Partir ses petites perles. À l’écriture, ce sera au cours d’une situation périlleuse dans une station essence. En termes de mise en scène, ce sera lors de la scène fondamentale du premier baiser. Le parti pris est original, et cette fois l’intention atteint son but : ce cadre large laisse toute liberté à l’action, et comme l’amour donne des ailes, l’instant est simplement beau. Mais l’intérêt principal de Partir réside dans ce qu’inconsciemment il donne à voir et comprendre des rapports amoureux et du travail. Au-delà de l’histoire d’amour entre la bourgeoise et le prolo et de ses conséquences matérielles, le travail sonne le glas de l’amour physique. Dès lors que Suzanne et Ivan payent leur amour à la sueur de leur front en récoltant des melons, plus aucune scène charnelle ne vient rendre compte de leurs ébats. Impossible de faire l’amour en travaillant, et si le début de leur histoire se caractérisait par une alchimie sexuelle, le travail plane comme une menace. Sans fêlures, sans brèches, et si purs dans leur passion, l’amour ne saurait être mis en péril par la condition matérielle des amants ; c’est ainsi que tranche le film… le triomphe est bien mièvre.


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